Catégories
Actualités

COP29 : Pour réindustrialiser, il faut changer les règles des financements carbone

Parmi tous les sujets qui seront discutés à Bakou lors de la conférence sur le Climat (COP29), il en est un particulièrement important pour la France : celui de la réindustrialisation. Paradoxalement, malgré tous ses avantages évidents en termes sociaux et environnementaux, celle-ci a pourtant un bilan négatif en carbone, ce qui désavantage notre pays et ralentit nos efforts en matière de lutte contre le changement climatique. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe une solution.

Dans une étude de 2024, France Stratégie établit ainsi qu’en 2035, la réindustrialisation sera responsable d’environ 10 millions de tonnes supplémentaires de CO2 par an pour notre pays. D’une certaine manière, c’est logique : l’augmentation de l’activité industrielle amène un accroissement des émissions. Mais, ces émissions supplémentaires en France correspondent pourtant à une diminution concomitante des émissions de CO2 à l’échelle de la planète – environ 28 millions de tonnes, selon cette même étude. Produire en France, avec une énergie très largement décarbonée et des standards environnementaux élevés, permet dans bien des cas d’émettre moins de CO2 que produire dans des pays extra-européens.

Emissions ou empreinte carbone

La comptabilité carbone actuelle pénalise donc la réindustrialisation écologique. Et tous les progrès que nous ferons dans cette direction s’opposent aux objectifs que se sont fixés la France et l’Union européenne : diminuer leurs émissions de CO2 de 55% d’ici à 2030 et les ramener à zéro d’ici 2050.

La bonne nouvelle est que l’on pourrait changer cela afin que la réindustrialisation contribue à notre transition. Le cœur du problème vient d’un constat très simple, partagé par tous les experts du sujet : l’enjeu n’est pas seulement les émissions d’un pays, mais son empreinte globale, c’est-à-dire ses émissions nationales plus celles liées à ses importations.

Prenons un exemple théorique et imaginons un produit A dont la production en Chine émet 2 tonnes de CO2, mais seulement 1 tonne en France (L’Insee et France Stratégie utilisent des coefficients de 2,4 ou 2,8) (1). Si la France rapatrie la production du produit A, et qu’elle en produit 1000 unités, les émissions globales diminuent de 1000 tonnes : c’est bon pour la planète. Mais le bilan carbone français augmente de 1000. Les vertueux apparaissent comme de mauvais élèves. Dans le même temps, les émissions chinoises diminuent de 2000 : eux qui n’ont fait aucun effort gagnent sur leur bilan carbone. On le voit, le mode de calcul est vicié.

L’exemple des MDP

Face à cette situation, il est possible d’imaginer un dispositif compensatoire qui repose sur une logique de crédits carbone. Dans notre exemple, on pourrait attribuer 1000 crédits à la France puisqu’elle amène une telle diminution des émissions. Il se trouve que la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC), celle qui a donné la COP21 de Paris, a prévu des mécanismes qui permettent de générer des crédits carbone à l’international sur des projets qui diminuent les émissions de CO2. Il s’agit du Mécanisme pour le développement propre (MDP ou CDM en anglais). Ce dispositif est destiné à des projets menés par des pays occidentaux dans les pays en développement. En quelques années, 1650 projets dans 111 Pays ont ainsi généré de 2,9 milliards de tonnes de crédits carbone.

Il est possible d’imaginer un mécanisme similaire, qui serait, lui, destiné aux pays occidentaux, que l’on pourrait appeler Mécanisme pour la réindustrialisation propre (MRP ou CRM en anglais), et de l’intégrer dans la Convention des Nations Unies. Avec les crédits carbone qui seraient ainsi générés, et qui peuvent se vendre et s’acheter, l’Europe disposerait d’un outil puissant pour redresser sa comptabilité carbone mais aussi pour financer sa réindustrialisation et ses réductions d’émission. Certes, l’évaluation et la certification des gains carbone ne serait pas aisée. Mais le CDM a montré, dans un autre contexte, que c’était possible.

Porter cette idée dans les négociations internationales et dans les prochaines COP ne sera pas aisé. Cela nécessitera un portage politique puissant tandis que les pays dits du « Sud », la Chine en tête, s’y opposeront, pour des raisons évidentes. Mais défendre la réindustrialisation écologique est un enjeu majeur pour l’Europe. Il est temps de défendre nos intérêts, qui convergent, en l’occurrence, avec ceux de la planète tout entière.

Ce texte a été publié par L’Opinion le 14 novembre 2024.

Olivier Blond

(1) Bourgeois A. et J. Montornes (2023) « Produire en France plutôt qu’à l’étranger, quelles conséquences ? », Insee Analyses, n° 89, octobre. (cité par France Stratégie)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *